Stanislas-Marie Maillard, l’Icare de la Révolution

    Acteur clé de plusieurs épisodes majeurs de la Révolution française, Stanislas Maillard fut l’un des meneurs de la faction la plus radicale des Sans-culottes parisiens. Seule la maladie l’empêcha de finir sur cet échafaud où avaient péri tant de ses ennemis… et de ses amis…

    Né le 11 décembre 1763 à Gournay (actuellement Gournay-en-Bray), un gros village du Vexin normand situé à mi-distance entre Rouen et Paris, Stanislas-Marie est le fils de Jean-Baptiste Maillard, qui exerce le métier de marchand, et de Françoise Bourdon, qui se consacre à l’éducation de ses neuf enfants.

   Après avoir servi pendant un temps dans l’armée, le jeune homme opte finalement pour la profession de clerc de notaire. Grâce à l’appui de son frère aîné, qui exerce en tant que maître-huissier à Paris, il rejoint bientôt la capitale.

      En 1789, âgé de 25 ans, Stanisla se laisse gagner par l’atmosphère d’effervescence qui règne alors dans la ville. Fervent partisan des Lumières, il se range derrière le parti des États-généraux contre celui des conservateurs. En mai 1789, au moment où le prix du pain atteint des sommets, des émeutes sanglantes éclatent dans les quartiers populaires de Saint-Antoine et Saint-Marcel. Décidé à les réprimer, le roi fait masser 30 000 soldats  sous les ordres du maréchal de Broglie. Le 11 juillet, le souverain renvoie son ministre Necker, pourtant très apprécié de l’opinion parisienne. C’en est trop pour beaucoup de partisans du changement. Dès le lendemain, les barrières d’octroi sont incendiées et les affrontements vont se poursuivre durant toute la journée du 13 juillet, tandis que le dépôt d’armes du palais des Tuileries est pillé. Au matin du 14 juillet, la foule s’assemble au Palais-Royal. Sous la conduite de Camille Desmoulins, les émeutiers décident de s’emparer de la Bastille où ils espèrent pouvoir se procurer des fusils, de la poudre et des canons. Maillard participe aux avant-postes à l’opération et, aux côtés des officiers Hulin et Elie, il s’impose comme l’un des meneurs des insurgés qui entament bientôt le siège de la forteresse. La tension montant, des coups de feu éclatent et la mêlée devient confuse. A 13h00, les soldats de la Bastille tirent au canon pour disperser la foule, faisant une centaine de morts. Mais les insurgés réussissent à disposer eux aussi de canons et une féroce canonnade s’engage alors. Finalement, à 17h, la forteresse capitule et c’est Maillard qui négocie personnellement la reddition du gouverneur de Launay, qu’il ne parviendra toutefois pas à soustraire à la fureur des assiégeants bien décidés à venger leurs morts.

    Maillard, qui ne veut pas laisser retomber la fièvre révolutionnaire, forme donc groupe de patriotes qui prennent le nom de « Volontaires de la Bastille » et dont il devient pour sa part le « capitaine ». Le 5 octobre 1789, c’est lui qui conduit la délégation de parisiennes et de parisiens qui se rendent à Versailles pour réclamer du pain et plus de fermeté à l’égard des officiers du régiment de Flandre, qui récemment avaient osé profané la cocarde tricolore. Le lendemain, alors que lui-même est déjà rentré à Paris, la famille royale est finalement contrainte par la foule de quitter Versailles pour venir s’installer aux Tuileries. Quelques mois plus tard, Maillard est officiellement élevé au grade de capitaine de la Garde nationale.

      Le 19 juillet 1791, il contresigne la « pétition du Champ-de-Mars » qui, consécutivement à la tentative de fuite du roi, réclame à présent l’abolition immédiate de la monarchie. Grand, brun, athlétique, les cheveux noués en catogan, Maillard en impose par son charisme, son éloquence et la vigueur de son patriotisme républicain. Il passe tout son temps libre dans les cafés, chez les marchands de vin et dans les différents clubs politiques, notamment celui des Cordeliers. Lecteur assidu du Père Duchesne, il se rapproche de la tendance animée par Jacques-René Hébert, devenu le président du club des Cordeliers depuis le printemps 1792. Maillard lui-même fonde la Société des Défenseurs de la République, qui se réunit au Café chrétien et regroupe une bonne partie des Sans-Culottes les plus résolus de la Section Quatre-vingt-douze (1).

    Le 2 août 1792, il épouse une fille de paysans, la citoyenne Marie-Angélique Paredde. Une semaine plus tard, le 10 août 1792, il est l’un de ceux qui mènent l’assaut contre le palais des Tuileries, évènement qui va aboutir à la capture du roi et à la chute de la monarchie. Après la victoire, il réussit à sauver près de 230 Gardes Suisses d’une mort certaine en les soustrayant à la colère de la foule. Le 2 septembre 1792, alors que les armées prussiennes et autrichiennes s’approchent dangereusement de Paris, la Commune l’envoie à la prison de l’Abbaye Saint-Germain pour mettre un terme aux massacres de prisonniers qui sont en train de s’y dérouler dans la plus complète anarchie. Comprenant qu’il ne pourra pas mettre fin aux tueries, Maillard choisit de les organiser. Il organise un tribunal révolutionnaire ad hoc qui enverra sur l’échafaud près de 90 personnes. Il agira ensuite de même à la prison des Carmes. C’est également vers cette époque qu’il ressent les premiers symptômes de cette tuberculose qui finira par l’emporter.

  Le  31 mai 1793, Stanislas Maillard participe à l’insurrection populaire qui renverse la Convention girondine et amène la Montagne au pouvoir. La Révolution est désormais entre les mains de ceux qui se sont jurés de la mener jusqu’au bout. Le 4 août 1793, il est chargé par le Comité de Sûreté générale de fonder un réseau de renseignement au sein des sections parisiennes. Il forme une équipe de 70 Sans-Culottes, à la tête desquels il va mener durant plusieurs mois une furieuse répression contre les agioteurs et les fabricants de faux assignats. Multipliant les arrestations et les perquisitions, les hommes de Maillard font preuve d’un grand zèle et méritent rapidement leur surnom de « Tape-Dur ».

    A partir de l’été 1793 et jusqu’à l’automne suivant, les Hébertistes, dont Maillard est l’un des hérauts, sont à l’apogée de leur puissance politique. Avec le général Vincent, qui fait distribuer gratuitement le Père Duchesne dans la besace de chaque soldat, ils tiennent solidement en main le ministère de la Guerre. Avec le général Ronsin, ils possèdent le haut-commandement de l’armée révolutionnaire de Paris. Avec Pache à la tête de la mairie, et Chaumette à celle du syndic, ils contrôlent fermement la Commune de Paris, tandis qu’avec Hanriot, ils dirigent la puissante Garde Nationale. Ils ont également deux représentants influents au Comité de Salut Public en la personne de Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Ils peuvent ainsi imposer leur programme politique dont les piliers sont :

  • Lutte à outrance contre les armées d’invasion avec la poursuite de la levée en masse.
  • Lutte de tous les instants contre les ennemis de l’intérieur : vote de la loi sur les suspects du 17 septembre 1793, proclamation du gouvernement révolutionnaire et suspension des libertés publiques le 10 octobre 1793, combat contre les Vendéens et les Chouans, répression féroce des insurrections fédéralistes de Marseille et de Lyon, purges internes à la Convention illustrée par l’exécution publique des leaders girondins le 1er novembre 1793.
  • Mesures extraordinaires en faveur des classes défavorisées : loi du 5 juin 1793 instaurant le partage égalitaire des successions, abolition de l’esclavage à Saint-Domingue le 29 août 1793, loi sur le maximum général du 29 septembre 1793 fixant d’autorité les prix des marchandises de première nécessité, décret sur le tutoiement obligatoire le 18 novembre 1793.
  • Campagne massive de déchristianisation : adoption du calendrier républicain le 24 octobre, saccage de la nécropole royale de Saint-Denis du 12 au 25 octobre, fermeture complète de toutes les églises parisiennes à compter 23 novembre, etc.

    Mais Robespierre, entré au Comité de Salut public le 27 juillet 1793, est résolu à mettre à bas l’influence, pour lui insupportable, de ceux qu’il appelle les « Exagérés ». Avec ses alliés, Georges Couthon et Louis-Antoine Saint-Just, il va donc planifier méthodiquement leur chute. Au début du mois de septembre 1793, il commence à lancer contre eux une véritable contre-offensive politique (2). Organisée de façon particulièrement habile, elle va aller en s’amplifiant au fil des suivants et aboutira finalement à leur complet écrasement. Le plus tonitruant des « Exagérés », Jacques Roux, est ainsi arrêté dès le 5 septembre 1793. Puis vient le tour de Maillard. Le 12 octobre 1793, sur la décision des comités de Salut public et de Sûreté générale, le jeune chef révolutionnaire est jeté en prison tandis qu’il  voit son logement perquisitionné et placé sous scellé. Après une première enquête, il finit cependant par retrouver  la liberté le 6 novembre. Mais le 17 décembre 1793, il est de nouveau décrété d’accusation, à la suite cette fois d’un discours virulent de Fabre d’Eglantine, qui a demandé son internement immédiat, de même que ceux de Ronsin et de Vincent. Dans son allocution devant la chambre, Fabre n’a pas hésité à accuser Maillard d’être le chef d’une bande de « coupe-jarrets ».

    Mais son état de santé s’est tellement détérioré qu’il sera seulement assigné à résidence. Il rédige alors une lettre où, avec beaucoup de noblesse, il se justifie de toutes les attaques portées contre lui et où il défend la justesse ses actes passés. Il est finalement libéré le 27 février 1794. Deux semaines plus tard, il échappe à la grande rafle lancée par Robespierre dans la nuit du 13 au 14 mars 1794 et au cours de laquelle seront arrêtés Ronsin, Vincent, Momoro, Cloots et bien sûr Hébert. Après un procès expéditif, ils seront tous guillotinés dans la soirée du 24 mars. Maillard, quant à lui, meurt de la tuberculose le 17 avril 1794 (26 germinal an II), âgé de 31 ans seulement.

   Après la chute de Robespierre, survenue à peine trois mois plus tard, la réaction thermidorienne fera de Maillard le symbole des excès révolutionnaires, ternissant durablement sa mémoire, parfois injustement.

Bibliographie :

  • Jean TULLARD, Jean-François FAYARD, Alfred FIERRO : Histoire et dictionnaire de la Révolution française, 1789-1799, Robert Laffont, Paris, 1999.

Notes :

(1) D’abord appelée « Section de la Bibliothèque » (juin 1790), puis « Section Quatre-vingt-douze » (septembre 1792), elle deviendra la « Section Lepeltier » en octobre 1793. Elle se réunissait dans l’ancien couvent des Filles de Saint-Thomas, à l’emplacement de l’actuelle Bourse de Paris (IIe arrondissement).

(2) Avec une science consommée de la stratégie politique, Robespierre va d’abord renverser les Girondins avec l’aide des Hébertistes (juin 1793), puis les Hébertistes avec l’aide des Dantonistes (mars 1794) et finalement les Dantonistes (avril 1794). Alors qu’il préparait sans doute une nouvelle purge, il sera lui-même renversé par ceux que l’on appellera les Thermidoriens (juillet 1794).

Crédit photographique : « Le Geôlier », cercle de Jacques-Louis David, Musée des Beaux-Arts de Rouen [Public domain], via Wikimedia Commons

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