Annexe au colonel Germain : les responsables du renseignement français en Algérie de 1955 à 1958

            Pendant la guerre d’Algérie, les autorités françaises ont mis en place un si grand nombre d’organismes de renseignement et de sécurité qu’il est sans doute nécessaire d’en présenter ici une synthèse afin que les lecteurs puissent ainsi mieux s’orienter.

Voici donc les principaux d’entre eux ainsi que les noms de ceux qui les ont dirigés entre juin 1955 et octobre 1958, c’est-à-dire durant la période au cours de laquelle Jean Allemand a été en poste à Alger.

  • Le gouvernement général et les organismes civils

            Rappelons tout d’abord que l’autorité politique la plus importante en Algérie est alors celle gouverneurs généraux (GG). Entre 1955 et 1958, l’Algérie eut deux gouverneurs-généraux, à savoir Jacques Soustelle d’abord (janvier 1955 – janvier 1956), puis Robert Lacoste (février 1956 – mai 1958). Lacoste exercera ses fonctions avec le titre de ministre résident et aura pour supérieur hiérarchique direct non pas le ministre des colonies mais le président du Conseil.

            Afin d’assurer les nombreuses tâches qui leur incombent, ces gouverneurs-généraux disposent d’un cabinet civil très fourni. Au sein de celui-ci se trouve notamment un conseiller spécial chargé de toutes les questions de sécurité. C’est Henri-Paul Eydoux (1907-1986) qui va occuper ce poste sous l’autorité de Jacques Soustelle avant que Jean Peccoud (1912-1998) ne fasse de même sous Robert Lacoste.

            Les gouverneurs généraux ont par ailleurs une autorité à la fois hiérarchique et fonctionnelle sur de très nombreux services et organes administratifs dont plusieurs œuvrent dans le domaine de la sécurité et du renseignement.

. Afin de mieux centraliser ces questions, Jacques Soustelle va d’ailleurs fonder, en février 1955, le Centre de Renseignement et d’Opérations du Gouvernement Général (CRO/GG). Bien qu’étant un service civil, il ce dernier sera dirigé par un militaire, à savoir le colonel Jean Ruyssen (1906-1994), qui va capter vers lui toutes les données provenant des différentes structures de renseignement avant de les retransmettre au gouverneur-général sous la forme de rapports circonstanciés et immédiatement utilisables. En mai 1958, le CRO/GG va devenir le Bureau d’Études (BE). Il se retrouvera alors directement intégré au cabinet civil du gouverneur-général et perdra toute autorité sur le renseignement militaire (mais le colonel Ruyssen restera néanmoins en fonction jusqu’en août 1959).

. Le Gouvernement Général dispose également des informations fournies par le Service de Liaison Nord-Africain (SLNA). Lointain héritier des Bureaux des affaires arabes et disposant de nombreuses ramifications au sein de la population musulmane, ce service va transmettre des informations souvent très justes sur le développement de l’insurrection. A partir de mai 1947 et pendant les dix années suivantes, il sera dirigé par un vétéran des affaires algériennes, le colonel Paul Schoen (1900-1984). En avril 1957, le SNLA sera finalement absorbé par le CRO/GG.

. Les principaux interlocuteurs du gouvernement général en matière de sécurité sont bien évidemment les trois préfets d’Algérie qui dépendent à la fois de lui et du ministère de l’Intérieur :

Entre 1955 et 1958, la préfecture d’Alger sera dirigée successivement par François Collaveri (1900-1989) de juillet 1955 à décembre 1956, Serge Baret (1910-1978) de décembre 1956 à mai 1958, puis par le général Jacques Allard (1903-1995) de mai à juillet 1958. Après cette date, le général Jacques Massu assumera les tâches préfectorales dans tout le ressort du département d’Alger. On trouve aussi des préfets à Oran (Pierre Lambert de 1953 à 1958) et Constantine (Pierre Dupuch de 1954 à 1956 puis Maurice Papon de 1956 à 1958).

Comme en Métropole, les préfets jouent un rôle très important en matière de sécurité. A compter d’août 1955 et face à l’accroissement des missions qui leur sont dévolues dans ce domaine, ils vont mettre en place des Centres de Renseignement et d’Opération Départementaux (CROD, qui seront renommés en novembre 1955 Centres de Liaisons et d’Études ou CLE). Ces organismes seront chargés d’assurer la coordination entre les différents services compétents en matière de sécurité. A noter que les sous-préfets de Batna et de Tizi-Ouzou disposeront eux-aussi de CROD-CLE. En juin 1956, les préfets d’Algérie seront élevés au rang d’Inspecteurs Généraux de l’Administration en Mission Extraordinaire (IGAME), ce qui va encore accroître les larges pouvoirs administratifs dont ils disposaient déjà.

Au sein de chaque préfecture, les secrétaires-généraux à la police jouent un rôle central en matière de maintien de l’ordre. Paul Teitgen (1919-1991) va occuper cette fonction à Alger à partir d’août 1956 mais démissionnera avec fracas dès l’année suivante pour protester contre la violence pratiquée par l’armée à l’égard de la population musulmane. Lors des événements de mai 1958, c’est Claude Dumont (1923-1973) qui va prendre en main les forces de police d’Alger sous l’autorité du colonel Yves Godard et du général Massu.

. Comptant parmi les premiers collaborateurs des gouverneurs-généraux du fait de l’importance de leur mission, les directeurs de la Sûreté Générale sont les représentants en Algérie de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), elle-même rattachée au ministère de l’Intérieur. Leur ressort s’étend sur les trois départements d’Algérie (mais pas sur le Sahara qui est sous le seul contrôle des militaires). Ils supervisent notamment le travail des sections algériennes de la Direction de la police judiciaire (DPJ), de la Direction de la police administrative (DPA) et de la Direction des Renseignements Généraux (DRG). Ils sont également destinataires de toutes les informations transmises par les 249 brigades de gendarmerie et de la police de l’air et des frontières (PAF).

La direction de la Sûreté en Algérie sera d’abord aux mains du préfet Jean Vaujour (1914-2010) de juin 1953 à juin 1955, auxquels vont succéder Gaston Pontal (juin 1955 – février 1956), le commissaire Jacques Ravail (par intérim, février-mars 1956), Jacques Pernet (mars – décembre 1956) et finalement Jean Peccoud (décembre 1956 – mai 1958).

Lorsque le général Raoul Salan va s’emparer du pouvoir en Algérie en mai 1958, il prendra soin de nommer son adjoint, le colonel Yves Godard, à la tête de la Sûreté Générale.

Plus spécialement chargée des affaires des affaires politiques, la section algérienne de la Direction des Renseignements Généraux (DRG) mérité un traitement détaillé. Dénommée Police des Renseignements généraux (PRG), elle sera commandée successivement par Georges Costes, Lucien Bousquet puis Michel Gonzalez à partir de mai 1958. Surveillant l’état d’esprit de la population, elle entretient de nombreux agents au sein des associations, des partis politiques, des syndicats, etc. Elle dispose également d’antennes dans les départements d’Alger (Jean Carcenac puis Michel Gonzalez), Bône (Roger Le Doussal), Constantine (Charles Grasser) et Oran (Lucien Lajeunesse).

  • Administrations civiles autonomes

            En revanche, ni la Sécurité Générale ni même le Gouvernement Général ne possèdent d’autorité hiérarchique directe sur ces deux services très particuliers que sont la DST et le SDECE.

. L’antenne algérienne de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) sera d’abord dirigée par Gaston Pontal (1914-2001) de 1953 à 1955, puis par Albert Rauzy de 1955 à 1962. Basée à El-Biar et disposant de 51 fonctionnaires en 1954 (ils seront ensuite bien plus nombreux), elle dispose par ailleurs de quatre autres antennes en Algérie ; à Alger (Paul Heintzelmann), Oran (Camille Detrez et Louis Schneider), Constantine (Paul Elbing) et dans le Sahara (Marcel Chalet, Serge Fontaine). S’occupant prioritairement de contre-espionnage, elle fait aussi du fichage (Heblé) et de la manipulation (Maurice Lassabe, Maurice Longchampt).

La DST d’Algérie dépend directement de Paris, où siège son directeur général, le très puissant et très redouté Roger Wybot (1912-1997). Ce dernier est assisté par un spécialiste des « affaires musulmanes », le commissaire Raymond Cham. Dès 1955, Wybot va charger divers collaborateurs d’assurer la centralisation de tous les éléments concernant le dossier algérien. Ce seront Désiré Yzermann puis Jean Baklouti à Paris et Jean-Marc Créhange à Alger.

. De 1955 à 1958, l’antenne algérienne du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE) sera dirigée par le lieutenant-colonel Jean Allemand (1906-1991), dit « colonel Germain ». Basée à Alger, dans l’enceinte de caserne Charron, elle dépend directement de la direction-générale du SDECE située boulevard Mortier à Paris. Elle a autorité sur l’antenne locale du Groupe de Contrôle Radio-Electrique (GCR) et disposera pendant un temps de sa propre troupe de choc, le Groupement Léger d’Intervention (GLI), devenue la Section A du CCI.

  • Les organismes militaires

            Outre le cabinet civil, le gouverneur général dispose également d’un cabinet militaire, qui collabore avec le cabinet civil dans le cadre d’un état-major mixte (EMM). Le cabinet militaire du GG sera dirigé par le colonel Jean Constans (1904-1990) à l’époque de Jacques Soustelle puis par le général Paul Ducourneau (1910-1985) sous Robert Lacoste. Principalement chargés d’assurer une liaison permanente entre le gouverneur et les autorités militaires, les directeurs du cabinet militaire n’ont toutefois pas d’autorité directe sur les nombreux organes qui s’occupent de faire du renseignement d’un point de vue strictement militaire.

            Car ces derniers sont placés sous les ordres directs des commandants de la dixième région militaire qui ont reçu le titre de commandants interarmées. Le général Henri Lorillot (1901-1985) occupera cette fonction de juillet 1955 à novembre 1956 avant que Raoul Salan (1899-1984) ne fasse de même entre novembre 1956 et novembre 1958. Ils sont sous l’autorité direct du chef d’état-major (Augustin Guillaume de 1954 à 1956 puis Paul Ely de 1956 à 1959) et du ministre de la Défense. Les unités des trois armées, Terre, Air et Mer, sont sous leur seule responsabilité. En matière de renseignement, les commandants interarmées ont autorité sur les services suivants :

. Le deuxième bureau de l’état-major inter-armées de la dixième région militaire. Il sera dirigé par les colonels Henri Wirth (1908-1984) de 1954 à mars 1956, Gilles Ménière de Schacken (1910-1959) de mars 1956 à juillet 1957, puis Henri Jacquin (1911-1992) de juillet 1957 à décembre 1958. Cet organisme est chargé de centraliser tous les renseignements obtenus sur l’insurrection. A ce titre, il condense les rapports et les synthèses établis par les officiers de renseignement (OR) des commandements de zone et de secteurs ainsi que ceux dépendant des corps d’armées, des divisions et des régiments présents sur les différents théâtres d’opération. Remontent aussi vers lui les données transmises par les Sections Administratives Spéciales (SAS), ces structures créées par Jacques Soustelle et le général Gaston Parlange (1897-1972) en septembre 1955 afin d’encadrer les populations algériennes des zones rurales. Chaque mois, le deuxième bureau réalise le bulletin mensuel de renseignement (BMR) qui établit une statistique précise des pertes rebelles, de leurs effectifs supposés et de leur localisation.

[nota : pour rappel le premier bureau d’un état-major s’occupe traditionnellement de l’administration, le deuxième du renseignement, le troisième des opérations, le quatrième de l’intendance, le cinquième de l’instruction et le sixième des relations publiques].

. Constatant que le mode opératoire du deuxième bureau n’est pas suffisamment adapté au combat anti-insurrectionnel, le général Lorillot va ordonner la création, en août 1956, d’un service dit de Répression-Action-Protection ou RAP (qui sera rebaptisé Centre de Coordination Interarmées/CCI en juillet 1957). Directement placé sous l’autorité du commandant de la dixième région militaire, le RAP doit théoriquement collaborer avec le deuxième bureau mais ce ne sera pas toujours le cas. Contrairement à ce dernier toutefois, le RAP/CCI ne sera pas seulement un organe de collecte des informations mais aussi un service de recherche active et de destruction de l’adversaire. Contrairement au SDECE, le CCI n’aura cependant pas le droit de faire du renseignement d’ordre politique. Dirigé par le colonel Léon Simoneau (1905-1993), il comportera :

. Un Service de Renseignement Opérationnel (SRO), dirigé par le colonel Serge Henri Parisot (1909-2010). Crée dès le mois de mars 1956, il sera rattaché au RAP/CCI en juillet 1957. Il est chargé de mener les analyses et d’alimenter en informations le chef du CCI, qui lui-même fait ses rapports au commandement interarmées d’Alger.

. Un Service Technique de Recherche (STR), dirigé par le colonel Jacques Teyssedre et chargé de mener les écoutes radio-téléphoniques.

. Un vaste service d’enquêtes, la Section P. Créée en février 1957 et commandée par le lieutenant-colonel Clément Ruat, le Section P doit alimenter le SRO en renseignements opérationnel. Pour ce faire, l’unité contrôle une trentaine d’antennes à travers le pays, les Détachements Opérationnels de Protection (DOP), dont certains vont se rendre tristement célèbres pour la brutalité de leurs méthodes. En janvier 1959, les DOP et les services régionaux du SRO seront rassemblés au sein des Unités Opérationnelles de Recherche (UOR).

. A partir de juin 1957 et jusqu’en janvier 1962, le CCI sera également pourvu d’un service action, la Section A, composée de trois centaines d’hommes issus du 11ème choc. Cet organisme va absorber le GLI et travailler en collaboration très étroite avec le SDECE.

. Egalement rattaché à l’état-major de la dixième région militaire se trouve le cinquième bureau chargé de l’action psychologique. Fondé en mars 1955 et nommé Bureau régional d’action psychologique (BRP), il sera dirigé par le lieutenant Albert Fossey-François (1909-1958) auquel va succéder le général Maurice Tarbouis (1900-1975). Il a reçu pour double mission de rallier l’opinion des Musulmans aux thèses gouvernementales mais aussi de convaincre les soldats du contingent du bien-fondé de leur présence en Algérie. Par la force des choses, il collecte évidemment beaucoup d’informations qui sont ensuite remontées au deuxième bureau. Le chef du deuxième bureau à Alger est le colonel François Goussault (1909-1984).

. Au fil de l’évolution du conflit, les autorités militaires vont imposer leur prééminence sur les autorités civiles. Dès le mois d’avril 1955, le général Gaston Parlange (1897-1972) devient ainsi le gouverneur civil et militaire du Sud-Constantinois (Aurès-Némentchas). De janvier à septembre 1956, le général Jean Olié (1904-2003) obtient les mêmes attributions en Kabylie. Le 7 janvier 1957, le commandant de la dixième division parachutiste (10-DP), le général Jacques Massu (1908-2002), est nommé gouverneur militaire de la zone du Nord-Algérois avec l’ensemble des pouvoirs de police.

Afin de gérer cette situation inédite et avec l’accord du général Salan et du gouverneur Lacoste, Massu va se constituer un solide état-major (dirigé par Joseph Broizat [1914-2000] et Antoine Argoud [1914-2004]) au sein duquel vont collaborer plusieurs spécialistes des questions de renseignement :

. Le colonel Roger Trinquier (1908-1986) sera chargé d’assurer la sécurité publique grâce aux différentes unités placées sous ses ordres, en particulier les Dispositifs de Protection Urbaine (DPU) et les Unités Territoriales (UT, formées de réservistes issus des populations européennes d’Algérie), ainsi que les différents services de police (et notamment les compagnies de CRS et de gendarmerie). Il sera également en relation directe avec les officiers de renseignement (OR) appartenant aux régiments qui composaient la dixième DP.

. Le colonel Yves Godard (1911-1975) va recevoir pour mission de conduire l’action psychologique. Il aura autorité sur un Groupe de Renseignement et d’Exploitation (GRE) dirigé par le capitaine Paul-Alain Léger (1920-1999), qui sera chargé d’infiltrer, de manipuler et de retourner les membres de la rébellion.

. Enfin le commandant Paul Aussaresses (1918-2013) dirigera pour sa part les opérations spéciales, autrement dit les plus missions délicates (et souvent aussi les plus sordides). Après son départ en août 1957, il sera remplacé dans ses fonctions par le capitaine Yves de La Bourdonnaye-Montluc.

            Le 13 mai 1958, le général Massu va prendre la tête d’un comité de Salut Public. Il s’emparera alors de l’ensemble des pouvoirs préfectoraux avant de recevoir le commandement du corps d’armée d’Alger en décembre 1958. Il sera finalement contraint de démissionner de toutes ses fonctions en janvier 1960.

. Le commandant de la dixième région militaire n’a pas d’autorité sur la section algérienne du Service de Sécurité de la Défense Nationale et des Forces Armées (SSDNFA), autrement dit sur la Sécurité Militaire, dont la mission est de protéger les installations et le personnel de l’armée, mais aussi de s’assurer que les forces militaires ne sont pas infiltrées par des puissances hostiles. Si l’on sait que l’antenne de la SSDNFA a été dirigée entre 1959 et 1962 par Jean Bazaugour (1914-1982) puis par Paul Rivière (1912-1998), il ne nous a pas été possible de déterminer le nom de leurs prédécesseurs.

. Le commandant interarmées n’a pas non plus d’autorité sur le Centre de Renseignement avancé sur l’Afrique du Nord (CRA-AFN). Crée en février 1956 par un vétéran des affaires musulmanes, le général Georges Spillmann (1899-1980), il est chargé de coordonner les renseignements militaires en provenance des trois pays du Maghreb afin d’alimenter directement l’état-major général et le ministère de la guerre.

Crédit photographique : Jacques Soustelle en uniforme de gouverneur général [Lyon Municipal Archives, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons]

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