Voir : Le colonel Morlanne (I) : de l’armée de l’air aux services spéciaux
IV. L’aventure indochinoise (1945-1946)
. Face à l’empire du Soleil Levant
Son dossier de résistant étant muet sur ce point et les archives des services spéciaux n’étant pas accessibles aux chercheurs, on ne connait pas les activités qu’Henri Fille-Lambie a pu conduire pendant les quatre premiers mois qu’il a passés à la DGER.
Toujours est-il qu’en février 1945, il est contacté par son directeur général, Jacques Soustelle, qui lui propose de partir pour les Indes britanniques[1]. Il s’agira pour lui de prendre le commandement du Service Action, l’une des structures que la DGER est en train d’installer en Extrême-Orient. Ayant accepté cette proposition, Fille-Lambie va venir prendre place à bord d’un avion qui, parti du Bourget, arrivera à Calcutta le 25 mars 1945.
Le SA dont il est ici question aura pour particularité de dépendre à la fois de la France pour le commandement et du Royaume-Uni pour tout ce qui concerne les moyens, ce qui explique qu’il va devoir travailler en collaboration étroite avec cette structure que l’on appelle la Force 136.
Dirigée par Colin MacKenzie (1898-1986) et John Anstey (1907-2000), la Force 136 constitue la branche asiatique du Special Operation Executive (SOE)[2]. Elle a reçu pour mission d’assurer l’instruction, le transport et le suivi logistique de soldats destinés à être parachutées derrière les lignes japonaises dans le but d’y mener des actions de renseignement et de sabotage. L’objectif est de permettre aux forces alliées de prendre leur ennemi à revers et donc d’avancer plus rapidement. A son tour, la Force 136 agit sous la supervision de l’état-major de Louis Mountbatten, le commandant allié en Asie du Sud-Est (SEAC). Le quartier-général de la SEAC et celui de la Force 136 se trouvent d’ailleurs tous les deux à Kandy, au Sri-Lanka[3].
Dans ce cadre, la Force 136 supervise plusieurs centres de formation dont le principal, le Military Establishment 25 (ME-25), est implanté à Horana, au centre du Sri-Lanka. Surnommé la Jungle School (« l’école de la jungle »), il abrite près d’un millier d’hommes placés sous la conduite du lieutenant-colonel d’artillerie George Richard Musgrave (1909-1959)[4], l’ancien commandant du camp d’instruction de Milton Hall (celui-là même où ont été formés les équipes Jedburgh).
Pour instruire leurs recrues, les Britanniques s’inspirent notamment des méthodes mises au point par Orde Charles Wingate (1903-1944), le créateur des fameux Chindits, qui se sont brillamment illustrés sur le théâtre birman en parvenant à agir au cœur du dispositif japonais. Ils bénéficient aussi de l’expérience acquise par Freddie Spencer Chapman (1907-1971), qui a lutté avec succès contre l’armée nippone dans les forêts de Malaisie. En quelques années, les Anglais sont ainsi devenus de véritables experts du combat asymétrique en milieu tropical. Au Sri-Lanka travaillent également des cadres chevronnés du SOE, tels que David Smiley (1916-2009) ou encore Peter Kemp (1913-1993), qui ont tous eu l’occasion de commander à des troupes de maquisards, que ce soit en Europe, en Afrique ou en Asie.
L’entraînement débute par plusieurs semaines de mise en condition physique, dont trois seront menées en pleine jungle. Il s’agit alors d’apprendre à se déplacer au coupe-coupe, à construire un abri sur pilotis ou encore à reconnaître les plantes et les animaux comestibles. Après avoir passé leur brevet de parachutisme, certaines recrues vont également devoir suivre un stage de deux semaines consacrés à la familiarisation avec le milieu marin. Quant au stage de sécurité, il leur permettra de maîtriser les règles à suivre afin de pouvoir travailler dans la clandestinité. Enfin, la formation se terminera invariablement par un exercice mené en condition réelles. A l’occasion de celui-ci, les recrues seront parfois amenées à réaliser des actions illégales comme de faux hold-up par exemple ! Une fois considéré comme prêts, les agents de la Force 136 sont dirigés vers l’aérodrome de Jessore, situé près de Calcutta, d’où ils seront ensuite parachutés en Indochine par des Liberator appartenant aux 357 et 358èmes escadrons de la RAF.
Si la direction de la Force 136 est exclusivement britannique, elle apporte son aide à plusieurs sections formées de personnels originaires des pays concernés par les combats (Birmanie, Malaisie, Australie, etc.). Créée à la suite d’un accord franco-britannique conclu le 5 août 1944, la section française, la French Indochina Country Section (FICS), a été confiée aux soins du lieutenant-colonel Jean Boucher de Crèvecœur (1906-1987), un officier courageux installé aux Indes depuis novembre 1943.
Officiellement rattachée aux Forces expéditionnaires françaises en Extrême-Orient (FEFEO), qui sont dirigées depuis le mois d’octobre 1943 par le général Roger Blaizot (1891-1981), la FICS a vu son cadre d’action défini dans un mémorandum rédigé par l’officier britannique Robert Guinness. Ce dernier prévoit qu’elle puisse assurer la formation en Indochine d’une troupe de 2 à 3 000 hommes qui seront prêts à prendre les armes dès l’annonce du débarquement allié[5]. Elle dispose pour ce faire d’une troupe particulière, le Corps léger d’intervention (CLI), qui a été placé sous le commandement du colonel Paul Huard (1901-1994).
En décembre 1944 toutefois, et afin que soit mieux pris en compte le caractère spécifique du combat mené en Indochine, le général de Gaulle va placer la FICS sous la tutelle directe de la DGER et c’est justement pour assurer le reformatage imposé par ce transfert que Morlanne a été envoyé sur place par Jacques Soustelle[6]. D’abord contraint de travailler sous les ordres de Crèvecœur, Morlanne va avoir du mal à s’entendre avec cet homme dont il juge le commandement inefficace car trop conventionnel et pas assez adapté aux réalités d’un théâtre opérationnel particulièrement complexe et original[7]. Heureusement pour lui, il va recevoir en juin 1945 deux nouveaux patrons dans les personnes du colonel Joseph Roos, dit « Nestor » (1906-1987), nommé au poste de délégué de la DGER pour l’Asie, et de son adjoint, Jean Rosenthal (1906-1993)[8].
S’entendant bien mieux avec eux, le Béarnais va pouvoir devenir le seul et unique patron du Service Action à compter du 10 juin 1945[9]. Bien décidé à reprendre les choses en mains, il commence alors par annoncer le départ de tout le personnel britannique car il souhaite pouvoir s’appuyer sur une équipe 100% française. Pour recruter la cinquantaine de collaborateurs dont il a besoin, il va faire appel à plusieurs de ses camarades du réseau « Jean-Michel », qui vont donc venir le rejoindre en Asie[10], mais aussi à des personnels éprouvés car installés sur place de longue date, comme Bernard et Madeleine Leroux ou encore mesdames Mirepoix et Derandon. Organisation des parachutages, préparation des opérations de renseignement et d’action, transmission et réception des ordres de mission, instruction des nouveaux personnels, Morlanne et ses assistants ne vont pas manquer de travail.
Lorsqu’il est arrivé sur place, l’officier a trouvé une situation militaire encore assez incertaine. Certes, les Britanniques sont effectivement parvenus à percer le front birman au cours du mois de janvier 1945, ce qui leur permet d’avancer à présent rapidement vers la frontière thaïlandaise. De leur côté, les Américains ont réalisé d’importants progrès dans le Pacifique et combattent désormais pied à pied pour s’assurer le contrôle total de l’archipel des Philippines.
Mais les Japonais ont encore de la ressource et l’ont d’ailleurs prouvé le 9 mars précédant en réalisant l’opération Meigo Sakusen (« clair de lune »). Conduite par le commandant de la 38e armée nippone, le général Yuitsu Tsuchihashi (1891-1972), cette manœuvre préparée de longue date leur a permis d’établir un contrôle direct sur l’Indochine française. En à peine quelques jours, près de 37 000 soldats français ont ainsi été désarmés et internés sans presque pouvoir réagir tandis que plus de 2 000 Européens ont été assassinés dans un déchaînement de violence volontairement destiné à marquer les esprits. Dans la foulée, les Japonais ont également contraint les autorités indigènes de l’Annam-Tonkin (11 mars), du Cambodge (18 mars) et du Laos (8 avril) à proclamer leur indépendance vis-à-vis de la France. Autrement dit la situation ne pourrait pas être pire !
La plupart des équipes clandestines que le SA essayait d’implanter depuis déjà plusieurs mois n’ont pas été épargnées par cette catastrophe et seuls quelques chefs de groupes, tous implantés au Laos (not. « Polaire », « Sagittaire » et « Orion »), sont finalement parvenus à échapper à la capture et à maintenir leur cohésion tout en continuant d’assurer leurs liaisons radio avec Calcutta.
Le 16 avril 1945, en accord avec les autorités de la DGER, Morlanne décide de revenir sur l’ordre donné aux maquisards français le mois précédent de s’opposer frontalement aux troupes nippones. Le rapport de force leur étant bien trop défavorable (les Japonais disposent de 100 000 soldats en Indochine), ils devront au contraire se fondre dans la nature, se disperser par petites équipes et se faire le plus discret possible.
Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’ils devront restés inactifs. Morlanne leur demande ainsi de recruter des partisans locaux, de multiplier les caches d’armes et de matériel, de rechercher des zones de parachutage et surtout d’observer de près les mouvements des troupes japonaises afin de pouvoir les communiquer ensuite aux Alliés pour que ces derniers puissent ajuster leurs opérations de bombardement. Il leur demande aussi d’établir des plans opérationnels précis afin d’être capables de repasser à l’attaque dès que la situation le permettra[11].
Afin qu’ils puissent mener à bien ce vaste programme, l’aviation va devoir continuer à leur faire parvenir de façon régulière des renforts en hommes, en matériel (armement, moyens radio, vêtements) et en nourriture. Or c’est justement là que le bât blesse. Car parcourir les 1 200 à 2 000 km qui séparent le Bengale du Laos n’est pas chose aisée. Cela implique notamment de survoler une zone de guerre très active, le front birman, ce qui obligera les pilotes des B-24 Liberator à se maintenir pendant près de 8 heures à une altitude de 6 000 mètres afin d’éviter d’être repérés par la chasse ennemie. Pour les mêmes raisons, ils devront également voler en blind, c’est-à-dire tous feux éteints. Le manque de moyens de guidage suffisants les obligrae aussi très souvent à attendre la pleine lune ainsi que des conditions météorologiques favorables, au risque de devoir annuler les opérations prévues. A titre d’exemple, sur 47 sorties tentées entre 15 avril et le 20 mai, seules 20 seront réussies ! Enfin et surtout, les Américains ayant refusé de participer à ces vols au motif que l’Indochine ne représente pas un intérêt stratégique majeur, tout le poids du support aérien va donc reposer sur les seuls Britanniques[12]. Et de fait, le nombre de parachutages va aller en s’amenuisant, passant de 50 en janvier 1945, à 44 en février, 39 en mars et seulement 17 en avril et 14 en mai.
Pour toutes ces raisons, les personnels du SA ne pourront souvent compter que sur eux-mêmes. Accablés par la chaleur et l’humidité (la saison des pluies au Laos dure d’avril à octobre), assaillis par les sangsues et les moustiques, victimes de la dysenterie, du paludisme, du choléra et de la dengue, ils vont devoir affronter des conditions de vie terribles. Pour toute nourriture, ils n’auront souvent qu’un peu de riz gluant glané dans quelque village ami, quelques pousses de bambous, des œufs de varan, des liserons d’eau, des tortues, des lézards et des écureuils (qu’il leur faudra apprendre à piéger ou à flécher car le bruit d’un seul coup de feu pourrait attirer sur eux l’attention de l’ennemi). Afin de ne pas laisser de traces repérables, ils vont même prendre l’habitude de remonter à pieds nus les torrents ou encore d’utiliser un filtre à savon lorsqu’ils lavent leurs vêtements, car ils n’ignorent pas que les Japonais analysent régulièrement l’eau des rivières pour retrouver la trace d’éventuels campements installés plus en amont !
Soumis à une telle pression, beaucoup de groupes vont être purement et simplement anéantis au cours de ces terribles mois du printemps et de l’été 1945 (par exemple celui d’Albert Toubas, dit « Dampierre », qui sera tué le 14 mai 1945), tandis que plusieurs autres (celui d’Ayrolles notamment) vont devoir passer en Chine pour éviter de subir le même sort. Les nouvelles équipes envoyées en renfort depuis les Indes vont également faire les frais de cette situation. Le groupe « Vega », parachuté le 4 juin, va par exemple être attaqué peu après par les Japonais et sera contraint de s’éparpiller pendant trois semaines à travers la jungle avant de pouvoir finalement renouer un contact radio avec Calcutta[13]. Et c’est ainsi que les 1 350 hommes en armes encore actifs le 15 mars 1945 ne seront plus que 519 (dont 319 Européens) au début du mois d’août suivant.
. La lutte change de nature
La situation indochinoise va toutefois basculer au lendemain des bombardements atomiques menés par l’US-Air Force les 6 et 9 août 1945 contre les villes d’Hiroshima et de Nagasaki. Au même moment, l’URSS déclare la guerre au Japon et envoie son armée en Mandchourie puis en Corée. Acculé de toutes parts, l’empereur Hiro-Hito finit par céder. Le 10 août, par l’intermédiaire de l’ambassade suisse, il fait annoncer à Washington qu’il accepte le principe d’une capitulation à condition toutefois que le trône impérial soit préservé. Les Américains ayant validé cette offre, Hiro-Hito annoncera alors à son peuple que le Japon ne sera plus en guerre à compter du 15 août.
Ces événements ne vont pas tarder à avoir des conséquences importantes sur la situation indochinoise. Le SA contrôle alors cinq zones de maquis :
. Hans Imfeld (1902-1947) avec ses adjoints Georges Tual, Marcel Mollo, Berthier et Baudhouard s’est installé au Nord de Louang-Prabang (total : 52 Européens, 5 postes radio).
. René Bichelot (1922-2004), Pierre Petit, Mutin, Jean Guilliod et André Heymonet tiennent le plateau du Tranninh, c’est-à-dire la zone située entre Mong Suon et Xieng Khouang (total : 39 Européens, 5 postes radio).
. Edmond Fabre et Jean Deuve (1918-2008), assistés de Lamson et Michelin, se sont implantés entre Ventiane et Paksane (total : 31 Européens, 2 postes radio).
. Jean-Marie Herenguel (dit « Guy de Wavrant », 1916-1945) s’est placé entre Kam Keut et Muong Cham (total : 12 Européens, 2 postes radio).
. Enfin, Louis L’Helgouach (dit « Louis Legrand ») et ses adjoints (Stéphane Jean-Montcler, Rouby, Henri Dumonet, Siméon, Henry Allard, Ferdinand Tavernier, François Germain et Jean-Marius Quinquenelle) tiennent pour leur part une vaste zone située entre Thakhek et Paksé (total : 61 Européens, 2 postes radio).
Paris ne contrôlant alors plus aucune autre force armée dans toute l’Indochine, cette poignée d’hommes incarne à elle seule la permanence de « l’idée française ».
Dès le 13 août, Calcutta annonce ainsi aux hommes du SA que des négociations de paix sont en cours, provoquant chez eux un immense soulagement et beaucoup d’espoir. Deux jours plus tard, ils reçoivent leur nouvelle mission ; investir les principaux centres urbains du pays et, nantis de l’ensemble des pouvoirs civils et militaires, y restaurer l’autorité de la République en attendant l’arrivée des troupes régulières[14]. Sur le papier, ce plan semble à la fois simple et logique, et cela d’autant plus que les Japonais présents au Laos vont recevoir l’ordre de se replier rapidement vers la Cochinchine afin de se mettre à la disposition des Alliés. Imfeld va ainsi pouvoir entrer à Louang-Prabang le 29 août, Bichelot à Xieng Khouang le 3 septembre, Fabre à Ventiane le 5 septembre, L’Helgouach à Paksé ce même 5 septembre et enfin Jean Deuve à Paksane le 14 septembre (Nong Het sera occupée le 10 septembre et Sam-Neua le 17 septembre).
En à peine quatre semaines, les effectifs du SA passent de seulement 500 à plus de 3 000 hommes répartis sur une zone couvrant près de 230 000 km2, soit la moitié de la France. Possédant alors 21 postes radio, l’unité contrôle alors près de 150 zones de largage, ce qui fait d’elle une force militaire très appréciable. Mais les choses ne vont pas tarder à se compliquer.
Car deux éléments essentiels n’ont pas du tout été pris en compte par l’état-major de Calcutta. Il s’agit d’une part de l’arrivée des troupes chinoises qui, en vertu des accords signées à Postdam le 2 août 1945, ont obtenu l’autorisation d’occuper toute la région située au nord du 16ème parallèle afin de superviser le désarmement des forces japonaises. Et d’autre part l’action des nationalistes du Viêt-Mînh, qui vont s’avérer des adversaires particulièrement redoutables.
Dès le 22 août 1945, Calcutta annonce ainsi à ses hommes qu’ils vont devoir céder le pas aux troupes chinoises partout où cela sera nécessaire afin d’éviter de provoquer un incident diplomatique. Les choses s’annoncent donc mal et la suite va venir le prouver.
Le 27 août, lorsque les 150 000 hommes de la 93e division chinoise du général Lou Han (1895-1974) commencent à pénétrer en Indochine depuis le Yunnan, on s’aperçoit en effet très vite qu’ils ont reçu la consigne de traiter les Français non pas comme des alliés mais bien comme des intrus. Sans s’inquiéter outre mesure du sort des rares Japonais encore présents (peu désireux de tomber entre les mains des Chinois, la plupart d’entre eux se sont déjà repliés en Cochinchine[15]), les troupes du Guomindang vont surtout chercher à s’enrichir le plus vite possible en mettant la main sur tout ce qu’elles peuvent trouver ; bétail, riz, métaux précieux et surtout stocks d’opium[16]. Le déploiement des Chinois à travers le Tonkin, l’Annam et Laos jusqu’au 16e parallèle va les emmener jusqu’à Ventiane où ils vont faire leur entrée le 22 septembre.
L’autre aspect clairement minoré par l’état-major du SA est donc la puissance désormais acquise par le Viêt-Mînh, une organisation indépendantiste clandestine fondée en mai 1941 et dans laquelle les communistes jouent un rôle de premier plan. Outre la forte audience dont ils bénéficient dans une partie de l’opinion locale, les chefs Viêt-Mînh vont pouvoir trouver des soutiens aussi puissants qu’inattendus auprès des Japonais et des Américains. Car avant d’abandonner le combat la mort dans l’âme, les militaires japonais se sont en effet livré à un véritable coup de pied de l’âne en cédant aux nationalistes indochinois une bonne partie de leur armement[17].
Quant à Albert Coady Wedemeyer (1897-1989), le général américain en charge du théâtre chinois et donc de l’Indochine, il est bien décidé à appliquer strictement les consignes d’éviction des Français secrètement formulées dès 1943 par le président Roosevelt à la conférence de Téhéran. Ne cachant pas son refus de voir les Français reprendre pied dans la région, Wedemeyer va donner à ses hommes présents sur place[18] la consigne de considérer le Service Action comme une force hostile. A leur grand étonnement, les Français vont même s’apercevoir que des conseillers américains épaulent parfois directement les forces Viêt-Mînh, un comble lorsque l’on connaît la suite de l’histoire[19].
Cette conjonction très favorable va en tout cas permettre au Viêt-Mînh de prendre le contrôle d’Hanoï dès le 19 août 1945. Le 2 septembre, son chef, le charismatique Ho Chi Minh (1890-1969), proclame solennellement l’indépendance du Viêtnam (phagocytant de fait l’Etat fantoche crée par les Japonais et dirigé par Bao Daï). Un peu partout dans l’ancienne colonie se mettent alors en place des « comités populaires » (uy ban nhan dan) qui affirment vouloir défendre coûte que coûte le nouveau pouvoir. Du plus jeune au plus âgé, toute la population se retrouve bientôt enrégimentée de gré ou de force. Des accrochages ne tardent à éclater entre les soldats du SA et les militants du Viêt-Mînh. Dès le 8 septembre 1945, le chef de groupe De Wavrant est d’ailleurs tué en tentant de défendre la ville de Napé contre une offensive communiste[20].
Si la situation est particulièrement grave dans le Tonkin et l’Annam, le Laos n’est pas épargné pour autant car le Viêt-Mînh peut s’appuyer sur la présence d’une importante diaspora vietnamienne (dont les 40 000 membres contrôlent une bonne partie de l’économie), mais aussi sur un groupe de nationalistes laotiens dirigés par le prince Phetsarath Rattanavongsa (1890-1959). Ce dernier, qui assure les fonctions de chef du gouvernement depuis août 1941, a fait proclamer l’indépendance du pays une première fois en avril 1945 sous la pression japonaise. Au moment de leur départ de Ventiane le 27 août 1945, c’est à lui que les troupes nippones vont confier une bonne partie de leur armement. Assisté de ses deux frères, les princes Souphanouvong et Souvannaphouma, Phetsarath va alors mettre en place un Comité du Laos libre (Lao Issara) qu’il va doter d’une armée de libération.
Faisant la navette entre le Sri-Lanka (Kandy, Horona, Colombo) et Calcutta depuis mars 1945, Morlanne maintient un contact radio permanent avec les hommes installés sur le terrain. Signant ses communiqués « JM » (pour « Jean Michel », l’un de ses autres pseudonymes dans la Résistance), il réceptionne toutes leurs demandes de matériel, leur assigne les objectifs à atteindre et informe aussi de leur sort leurs familles restées en France. Voyant ses troupes se battre et risquer leur vie, il supporte de plus en plus mal de ne pas pouvoir partager leur sort[21]. Cette attitude rejoint d’ailleurs la vision du colonel Roos, qui estime que tout le dispositif que la DGER a installé aux Indes doit pouvoir se projeter rapidement en Indochine. Le 13 septembre 1945, Morlanne est ainsi parachuté près de Louang-Prabang dans le cadre de la mission « Kandy ». Il va alors s’intégrer à l’équipe d’Hans Imfeld, qui vient d’être nommé en tant que commissaire de la République au Laos[22].
Une fois sur zone, Morlanne ne va pas tarder à pouvoir constater par lui-même la complexité mais aussi la dangerosité de la situation indochinoise. Le 23 septembre 1945, alors que le général Ying a convié Hans Imfeld et son état-major (dont Morlanne) à Louang-Prabang pour un cocktail de bienvenue, l’officier nationaliste ordonne l’arrestation de ses hôtes au moment même où ces derniers portent un toast en l’honneur de « l’alliance indéfectible » entre les deux nations[23]. Etant heureusement parvenu à se tirer de ce mauvais pas, Morlanne va bientôt recevoir d’Imfeld l’ordre de gagner au plus vite la région de Ventiane puis celle de Paksé afin d’y organiser la résistance[24].
Désavoué par le roi Sisavong Vong (1885-1959), qui a publiquement réaffirmé le 6 septembre 1945 qu’il tenait à l’alliance française (notamment afin de se garantir contre les nationalistes chinois ou les communistes vietnamiens), Phetsarath entre bientôt en lutte ouverte avec son souverain et finit par proclamer l’indépendance du pays le 12 octobre 1945. Dans la foulée, ses forces vont prendre le contrôle de Louang-Prabang, abolissant la monarchie et faisant placer le vieux monarque en résidence surveillée (20 octobre). Avec la complicité des Chinois, Viêt-Mînh et Lao Issara décident finalement de signer une convention militaire dans le but d’unir leurs forces contre les Français.
Ainsi confrontés à l’hostilité conjuguée des Chinois, des Lao Issara et du Viêt-Mînh, les hommes du SA installés dans le Nord-Laos vont devoir reprendre le maquis ou bien se réfugier en Thaïlande. Au sud du 16ème parallèle en revanche, la situation sera bien meilleure, car sans l’appui de leur grand voisin, nationalistes laotiens et troupes communistes n’auront pas la force de s’attaquer efficacement aux Français. La conjoncture générale va d’ailleurs finir par évoluer en faveur de ces derniers.
. Le retour des Français
Car les nouveaux venus n’ont pas que des partisans, bien au contraire. Déjà lassés des réquisitions que les Japonais opéraient à leur encontre (et qui s’apparentaient souvent à de l’extorsion pure et simple), les populations des zones rurales (qu’elles appartiennent à l’ethnie majoritaire Lao ou bien aux peuples des montagnes comme les Hmongs ou les Rhadés) sont bien décidées à ne pas subir la même chose de la part des Chinois ou des Vietnamiens. Habilement, les Français vont entreprendre d’exploiter ce mécontentement afin de présenter leur éventuel retour comme un gage à la fois de liberté, de paix, de sécurité et de prospérité[25]. Arpentant les villages les plus reculés, ils vont bien prendre soin de respecter les coutumes de leurs hôtes. Invités par exemple aux cérémonies du baci, ils se plieront volontiers aux demandes des chamanes et apprendront à siphonner avec eux, à l’aide d’une tige en bambou, l’alcool de riz (le choum) contenu dans les jarres qu’on leur présente. Plus prosaïquement, ils paieront aussi toujours comptant ce que les habitants viennent leur vendre[26]. A force de palabres, ils vont ainsi pouvoir obtenir le ralliement de plusieurs gouverneurs locaux et celui de nombreux chefs de village dont le soutien va s’avérer très précieux. Ils vont ensuite confier au prince laotien Boun Oum (1911-1980) le commandement de cette coalition de résistants qui comptera bientôt près de 15 000 hommes.
Au fil des semaines, de nouveaux acteurs vont également entrer en action sur ce théâtre indochinois qui en compte pourtant déjà beaucoup. Le 12 septembre 1945, le général Douglas Gracey (1894-1964) arrive ainsi à Saïgon à la tête de la 20ème division britannique. Conformément au traité de Potsdam, Gracey va rapidement déployer ses troupes à travers tout le sud de l’Indochine et jusqu’au 16ème parallèle afin d’assurer le désarmement des Japonais. Dans le sillage des soldats de sa gracieuse majesté, vont également arriver les premiers éléments du Secret Intelligence Service commandés par Arthur Geoffrey Trevor-Wilson, David Smiley (1916-2009) et Rowland George Winn (1916-1984), qui vont établir un contact avec les hommes de Morlanne. Placés dans une situation analogue à celle des Français, les Anglais comprennent parfaitement bien les difficultés que rencontrent ces derniers. Ils vont donc faire de leur mieux pour leur fournir l’aide dont ils besoin mais aussi pour jouer les facilitateurs auprès des Américains[27]. Avec les Britanniques vont également arriver les premiers éléments du corps expéditionnaire français en Indochine, et notamment une centaine d’hommes appartenant au 5e régiment d’infanterie coloniale (5-RIC, en fait l’ex-CLI).
Une fois sur place, ces troupes franco-britanniques ne vont pas tarder à découvrir que le Viêt-Mînh contrôle déjà totalement le pays et c’est donc dans une forêt de drapeaux rouges qu’ils vont devoir progresser afin d’obtenir la libération des civils et des militaires français internés par les Japonais depuis leur coup de force du 9 mars. Le 22 septembre 1945, après avoir tenté de ménager pendant un temps les différents protagonistes, Gracey autorisera finalement les Français à reprendre par la force le contrôle de Saïgon, ce qui va donner lieu à des combats violents mais brefs. Les chefs Viêt-Mînh vont alors se venger en ordonnant l’exécution de nombreux civils français dont près de 150 seront par exemple massacrés à la cité Héraud le 24 septembre. Heureusement pour eux, les hommes du 5-RIC vont pouvoir bénéficier de l’arrivée de puissants renforts. Ayant fait son entrée dans la ville le 5 octobre, le général Leclerc sera en effet suivi à compter du 19 octobre par les gros bataillons de la 2e division blindée. Lancée dès le 25 octobre, l’opération « Moussac » va permettre aux Français de libérer Saïgon ainsi que ses abords immédiats de l’emprise Viêt-Mînh.
Mais la reconquête de toute l’Indochine va encore prendre beaucoup du temps, car le territoire est immense et l’adversaire bien décidé à résister. La DGER va donc multiplier les largages afin de renforcer les unités dont elle dispose déjà au Laos :
- Entre les 23 et 30 septembre, les 60 hommes de la compagnie B commandés par l’officier Le Guillou sont parachutés à Nong Khay.
- Entre les 23 et 29 septembre, 60 hommes appartenant aux missions Blanket 1, 2, 3 et 4 sont parachutés à travers tout le Laos.
- Entre les 10 et 16 octobre, placés sous les ordres du commandant François Gourvest (1905-1991), 60 parachutistes appartenant à la mission Kay-1 atterrissent à Paksé dont la piste a pu être sécurisée par les hommes de l’Helgouach.
- Les 20 et 23 octobre, 60 agents sont parachutés à Lakhon, près de Thakhek, dans le cadre de la mission Kay-2 dirigée par Xavier Rouget de Conigliano (1912-1975)
- Enfin, le 12 novembre, 11 agents de la mission Kay-3 d’Alain Maze Sencier de Brouville (1922-1979) sont parachutés près de Ventiane.
Tous ces renforts, bien qu’appréciables, ne vont pas permettre de renverser la situation, tant le rapport de force joue encore en faveur des indépendantistes. Confrontées à de sérieuses difficultés, plusieurs de ces équipes seront même contraintes de se replier. Alors que les Français avaient pris Muong Phine le 20 novembre, ils devront ainsi l’évacuer le 21 décembre suivant.
De plus en plus préoccupés par la situation aux Indes, qui ne cesse alors de se dégrader, les Britanniques choisissent finalement de replier leurs hommes d’Indochine. A la fin d’octobre, ils annoncent ainsi aux Français que la Force 136 cessera son activité à compter du 15 novembre suivant. La DGER va alors déplacer sa centrale radio depuis Calcutta vers Saïgon, où une base opérationnelle sera constituée[28]. Avant de s’en aller toutefois, les Anglais vont accepter de former une trentaine de plieurs et empaqueteurs de parachutes français. Ils vont également offrir à leurs homologues une cinquantaine de postes radio ainsi que 600 tonnes de marchandises, c’est-à-dire de quoi équiper 2 500 hommes pendant six mois[29]. Les Liberator britanniques seront alors remplacés par des DC-3 Dakota du Groupe de marche en Extrême-Orient (GMEO) tandis que le général Douglas Gracey finira par quitter la péninsule indochinoise le 28 janvier 1946, laissant ainsi le contrôle de la région à la seule armée française.
A la demande du colonel Roos, Morlanne a fini par quitter le Laos au début de novembre 1945 afin de gagner Saïgon pour se mettre à la disposition du général Leclerc et notamment de son adjoint pour les questions de renseignement, Paul Repiton-Preneuf (1904-1962). Estimant que les services spéciaux ne sont pas en capacité de vaincre seuls la rébellion, Leclerc a demandé à ce que leurs troupes soient mises à la disposition du corps expéditionnaire. A compter du 15 novembre, les combattants du SA vont donc perdre tout lien avec la DGER pour devenir les Forces françaises du Laos (FFL), une nouvelle unité dont le commandement sera confié le 18 décembre 1945 à Jean Boucher de Crèvecœur. Quant aux formations laotiennes pro-françaises du prince Boun Oum, elles vont être intégrées au sein de trois commandos et quatre bataillons franco-laotiens. Le 23 décembre 1945, Morlanne abandonnera officiellement ses fonctions de chef du SA pour intégrer l’état-major des FFL[30].
La contre-offensive tant attendue sera d’abord diplomatique. Envoyé en Chine par Leclerc, Raoul Salan va ainsi obtenir de l’armée du Guomindang qu’elle accepte de se retirer d’Indochine à compter du 28 février 1946[31]. Au même moment et parce qu’il sent le vent tourner en sa défaveur, Ho Chi Minh décide pour sa part de traiter avec les Français. Les accords Hô-Sainteny, ratifiés le 6 mars 1946, vont ainsi permettre aux forces du général Leclerc d’entrer à Hanoï dès le 18 mars.
Plus rien dès lors ne s’oppose à ce que la France ne reprenne pleinement pied dans l’ensemble du Laos. Dès le 9 mars 1946, le 5-RIC arrive à Paksé où le colonel de Crèvecœur va installer son nouveau poste de commandement[32]. L’offensive, menée avec de gros moyens, va progresser rapidement le long d’un axe Sud-Nord. Après Muong Phine le 14 mars, Savannakhet le 17 mars, puis Thakhek le 21 mars, c’est au tour de Tchépone d’être prise le 23 mars. Après un bref temps d’arrêt, la campagne se poursuit finalement avec les prises de Napé (11 avril), Ventiane (23 avril) et enfin de Louang-Prabang le 13 mai. Tandis que le Viêt-Mînh doit replonger dans la clandestinité et que les chefs Lao-Issara s’exilent vers l’étranger, le roi Sisavong va pouvoir devenir le nouveau souverain d’un royaume laotien désormais unifié et solidement soutenu par la France.
Les choses rentrant ainsi (provisoirement) dans l’ordre, on estime bientôt en haut lieu que l’emploi des guérilleros du Service Action ne se justifie plus et ces derniers donc invités à plier bagage pour regagner la Métropole. Dès le 7 février 1946, Morlanne a d’ailleurs embarqué avec une trentaine de ses hommes à bord du croiseur Le Pasteur[33]. Comme tous ceux qui ont participé à cette étonnante épopée, il gardera toute sa vie une certaine nostalgie de cette époque indochinoise, ce qu’on a parfois appelé le « mal jaune ». Mais en débarquant à Toulon au matin du 28 février 1946, il ne sait pas encore qu’une nouvelle étape de sa carrière, sans doute la plus déterminante, va bientôt pouvoir commencer[34].
Suite : Le colonel Morlanne (III) : naissance et structuration du Service Action
Notes :
[1] Bergot, 1979, p. 50.
[2] La Force 136 disposait d’un bureau de recrutement à Paris dont la direction était assurée le lieutenant-colonel Carlton Smith (témoignage de Robert Maloubier au SHD).
[3] Millour, 2020, p. 13, 19.
[4] La Force 136 possédait également une autre école d’entraînement à Pune (Poona), près de Bombay (où avait été formé le CLI, cf Sassi, 2009, p. 113) ainsi qu’à Hazaribagh, près de Calcutta. Les formations au parachutisme pouvaient être effectuées à Jessore ou bien sur la base de Chaklala, située près de Rawalpindi. L’instruction nautique se faisait à Trincomalee et Bentota.
[5] Pour tout ce qui concerne la mise en place du SA en Indochine, on peut se reporter au rapport daté de novembre 1945 que Jean Sassi et Jean-Louis Tremblais ont fait figurer en annexe de leur ouvrage (2009, pp. 281-318).
[6] Sassi, 2009, p. 307.
[7] Bergot, 1979, p. 69 ; Sassi, 2009, p. 104-105.
[8] L’état-major de la DGER était implanté à Calcutta, au n°12 de la Swinhoe Street, dans le quartier résidentiel de Ballygunge. Le quartier-général du SA se situait un peu plus au nord, dans la Chakraberia Road.
[9] Cette date figure notamment dans l’une des pièces de son dossier au SHD et fait donc autorité. Cependant, Bergot (1979, p. 75) fournit celle du 10 avril 1945. En fait, la répartition des rôles au sein du SA entre Crèvecœur et Morlanne, mais aussi entre les états-majors de Calcutta (FICS) et de Kandy (SA), ou bien encore entre les troupes françaises établies en Chine (MMF) et celles implantées en Inde semble avoir été particulièrement complexe. Si complexe d’ailleurs que les Américains finiront par exprimer aux Français leur mécontentement car ils ne savent plus à qui adresser leurs demandes (Faure, 2004, 169-170). Comme souvent en pareil cas, on avait partagé les responsabilités afin de ménager les susceptibilités de chaque service, ce qui a eu pour effet de créer un véritable chaos administratif dont les hommes présents sur le terrain seront les premiers à faire les frais.
[10] Bergot, 1979, p. 50 ; Sassi, 2009, p. 312.
[11] Faure, 2004, p. 165 ; Sassi, 2009, p. 133.
[12] Sassi, 2009, p. 139, 141.
[13] Sassi, 2009, p. 123-130.
[14] Dès le 22 août 1945, une première délégation britannique était venue s’installer à Saïgon afin de préparer le futur débarquement.
[15] Bergot, 1979, p. 103.
[16] Bergot, 1979, p. 103 ; Sassi, 2009, p. 150.
[17] Plusieurs centaines d’officiers et de soldats japonais décideront de rejoindre les troupes VM au cours de l’été 1945, leur apportant au passage un savoir-faire précieux. Si la plupart finiront par demander leur rapatriement, certains se battront aux côtés des Vietnamiens pendant plusieurs années, à l’instar du major Takuo Ishii (Gosha, Christopher : « Alliés tardifs, les apports techniques des déserteurs japonais au Viêt-Mînh durant les premières années de la guerre franco-vietnamienne », Guerres mondiales et conflits contemporains, 202-203, 2001, pp. 81-109).
[18] Le premier contact permanent entre le Viêt-Mînh et l’OSS date de février 1945. En mai 1945, une équipe de l’OSS, la Deer Team, dirigée par le Franco-Américain René Defourneaux, va s’installer au Tonkin afin d’entraîner le Viêt-Mînh à combattre les Japonais. Après la capitulation, une seconde viendra prendre ses quartiers à Hanoï (17 août 1945) tandis qu’une troisième, la Raven Mission, sera parachutée au Laos le 16 septembre. Obéissant aux ordres du responsable de l’OSS pour l’Asie, Paul E. Helliwell (1915-1976), ainsi qu’à ceux du conseiller américain auprès de l’armée chinoise, le général Phillip Gallagher (1897-1976), ces différentes équipes comprenaient notamment Edward Geary Lansdale (1908-1987), George F. Sheldon (1920- ?), Harold Robert Isaacs (1910-1986), Aaron Bank (1902-2004), Albert Peter Dewey (1916-1945), Robert Hampden Knapp (1915-1974) et Archimedes Patti (1913-1998) (Bergot, 1979, p. 82). La plus grande trahison des Américains à l’égard de leurs alliés français fut sans doute de leur avoir caché la préparation du coup de force du 9 mars 1945, ce que leur programme de décryptage des communications japonaises (« Magic ») leur avait pourtant permis de connaître (Arboit, 2014, p. 252).
[19] Sur la présence des Américains lors de la bataille de Napé en septembre 1945, voir notamment le témoignage de Jean Sassi (2009, p. 145).
[20] Sassi, 2009, p. 138. La plupart des hommes envoyés par la DGER pour sonder la situation et trouver un premier terrain d’entente avec les communistes seront vite faits prisonniers, à l’exemple de Pierre Messmer, le futur ministre des armées, qui sera capturé dès son parachutage au Tonkin le 27 août 1945.
[21] Comme leurs homologues britanniques, les officiers français installés aux Indes vivaient dans des conditions très privilégiées. Robert Maloubier se souviendra notamment d’avoir dîné en compagnie de Morlanne au célèbre Gall Face Hotel, le grand palace de Colombo (témoignage oral livré au SHD, 3 K 71).
[22] Au sein de l’équipe Imfeld, Morlanne va notamment pouvoir côtoyer l’ancien Jedburgh Jean Larrieu (1912-1969) ainsi qu’un ex-agent du BCRA, Marcel Chaumien (1913-1979), un homme qu’il avait déjà sans doute connu au Sri-Lanka et qu’il retrouvera au SA par la suite.
[23] Bergot, 1979, p. 106.
[24] Il semble bien que Morlanne soit ensuite (au moins brièvement) revenu à Calcutta puisqu’il était présent à Jessore lors du départ de la mission Kay 2 le 19 octobre 1945 (Millour, 2020, p. 72).
[25] Leur discours s’appuyait notamment sur la déclaration faite par le gouvernement français le 24 mars 1945. Une fois le conflit terminé, les cinq pays de l’Indochine française devaient ainsi intégrer une Fédération indochinoise dotée d’une (certaine) autonomie dans le cadre de l’Union française.
[26] Sassi, 2009, pp. 131-132.
[27] Bergot, 1979, p. 107 ; Sassi, 2009, p. 141.
[28] Bergot, 1979, p. 122 ; Sassi, 2009, p. 155.
[29] Ce matériel conséquent sera acheminé par bateaux depuis l’Inde jusqu’en Indochine entre octobre et décembre 1945 (Sassi, 2009, p. 315 ; Millour, 2020, p. 138).
[30] Sassi, 2009, p. 159 ; Millour, 2020, p. 102, 160. La DGER puis le SDECE continueront cependant de maintenir un poste en Indochine, d’abord sous la conduite de Joseph Roos jusqu’en juin 1946, puis sous celle de Pierre Barada (« Gaston ») et enfin de Maurice Belleux à partir de décembre 1947 (et jusqu’en avril 1956).
[31] Les derniers soldats chinois ne quitteront d’Indochine qu’en septembre 1946. En échange de son retrait, la Chine nationaliste avait obtenu que les Français lui cèdent officiellement le contrôle de leurs concessions de Shanghaï, Hankou et Tientsin, ainsi que tous leurs droits sur le chemin de fer du Yunnan (ce qui n’était pas difficile puisque lesdites concessions avaient été occupées par les Japonais dès 1940).
[32] Millour, 2020, p. 136-137, 160-168.
[33] Millour, 2020, pp. 144-151. Jean Sassi fera partie de cette même équipe rapatriée sur Le Pasteur (Sassi, 2009, p. 170). Certains agents de la DGER resteront cependant sur place plus longtemps. Marcel Chaumien et René Bichelot ne regagneront ainsi la Métropole qu’en août et septembre 1946.
[34] Le 25 juillet 1946, dans l’enceinte de la caserne de La Muette, le général Georges Revers (en présence des généraux Zeller et Besson) viendra remettre la médaille de la Légion d’honneur à 24 agents de la Force 136, dont Morlanne (cf L’Aurore, 26 juillet 1946, p. 2).
Crédit photographique : la pagode du Palais royal de Luang-Prabang, Laos [Alcyon, CC BY-SA 3.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0, via Wikimedia Commons]